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Le Récit de Nicolas Bonjour à tous, Quelques jours après mon retour à la maison, je prends le temps de vous restituer les faits marquants de mon périple trop vite écourté. Je n’arrive pas à comprendre comment en si peu de temps, autant de choses ont pu se passer. Comment moi, habituellement si peu bavard, je peux avoir autant d’anecdotes à raconter. Ce doit être aussi ça le Dakar… Jeudi 30 décembre 2004 : Vérifications techniques et administratives. Paris 8h00. Départ pour l’aéroport en famille. Je suis réconforté que ma femme et mes trois enfants soient avec moi jusqu’au dernier moment. Après les formalités d’embarquement je retrouve Denis (un copain motard) et sa famille qui viennent passer le nouvel an à Barcelone et assister au départ du rallye. Cette présence est rassurante, elle m’évitera d’avoir l’esprit baladeur et de me poser trop de questions inutiles. Arrivés à Barcelone, la marche d’approche jusqu’au site des vérifications est un peu longue (peut-être suis-je pressé d’y être). Je retrouve ma moto à l’entrée des vérifications, je peux donc commencer le parcours bien plus tôt que prévu. D’abord l’administratif. Des dizaines de stands à visiter pour obtenir des tampons sur un carnet (GPS / caution bancaire / licence moto / photo / formation balise de détresse / médecin / …). Un seul visa manque sur le carnet et l’autorisation de partir n’est pas accordée. Ensuite les vérifications techniques de la moto. Je dois d’abord retrouver ma veste de course et mon casque qui doivent impérativement être contrôlés eux aussi. La recherche sera longue car mon assistance est assez «volatile» ! Je finis enfin par tout rassembler et je peux reprendre mon parcours. D’abord les plaques numéros. Ce symbole est très fort pour moi ! J’ai MA plaque Dakar. Ensuite, vérification de la conformité de la moto. Je découvre que je ne peux pas être classé en catégorie production car j’ai une cale pour relever le guidon (je suis trop grand pour la moto en configuration standard). Je suis donc classé avec les «Pro». Ils n’ont qu’à bien se tenir ! Les officiels vérifieront aussi mon matériel de sécurité (boussole / couverture de survie / fusées de détresse / lampe à éclats / …) et j’obtiendrai enfin l’autorisation d’aller au parc fermé après avoir fait un joli tour dans les embouteillages de Barcelone. Je crois que je suis arrivé à l’hôtel vers 21h00. Je suis crevé par cette première journée ! Vendredi 31 décembre 2004 : Barcelone / Barcelone – 51 Kms. Le programme de la journée est plus calme. D’abord un briefing pour l’ensemble des concurrents. L’occasion de croiser toutes mes idoles et de retrouver les copains. Par la suite, le rallye ne nous laissera pas le temps de papoter. Après le briefing, je profite de la chambre d’hôtel de Xavier toute proche pour m’allonger et me reposer avant le départ pour le prologue (qui compte pour le classement général). Il se déroule sur les plages de Barcelone. Nous y allons en bande, les 4 Bunny’s Up rangés par ordre de numéro. C’est donc à moi, le numéro 63, que revient l’honneur d’ouvrir la piste dans les échangeurs autoroutiers. Me suivent Dominque (n°64), Xavier (n°66) et Frédéric (n°67). La pré-grille est l’occasion d’un petit stress pour Dominique et Frédéric qui pensent ne pas avoir suffisamment d’essence pour parcourir les 4 kilomètres de plage et revenir à Barcelone. Symboliquement, nous avions décidé d’effectuer le parcours ensemble. Mais, dés le départ, la difficulté du terrain (sable très mou et profond) nous décide à adopter la technique du «sauve qui peut». Dominique et Xavier s’envolent devant, alors que Frédéric et moi préférons assurer le spectacle avec diverses arabesques totalement incontrôlées, parfois ponctuées de chutes grotesques. Et mon moteur cale ! Persuadé d’avoir fait une mauvaise manœuvre, j’essaye de le démarrer pendant 15 minutes. J’insiste tellement que je pense l’avoir noyé. Avec l’aide d’un commissaire de piste, je pousse la moto à côté de la spéciale. Des spectateurs m’aident à leur tour… sans succès. Je démonte la bougie et là stupeur… pas la moindre trace d’essence ! J’étais connecté au réservoir arrière vide alors que le robinet indiquait l’avant ! La panne est vite résolue et 15 minutes plus tard je peux reprendre la piste… et mes arabesques. Sur le moment la déception était très grande, je suis le dernier. INCROYABLE ! Mais très vite j’ai trouvé la situation amusante et plutôt favorable. D’abord parce que je ne pourrai plus faire moins bien au classement, ensuite parce que j’allais avoir la chance d’ouvrir la spéciale de Grenade. Ouvrir une spéciale n’est habituellement réservé qu’aux meilleurs pilotes. Maintenant j’en suis ! Samedi 1er janvier 2005 : Barcelone / Grenade – 919 Kms. Je m’étais tellement préparé au pire que les 920 kilomètres de liaison entre Barcelone et Grenade ne m’ont pas semblés si difficiles. Traverser l’Espagne sous un joli soleil d’hiver n’était pas une si grande punition. A la hauteur d’Alicante je suis repassé devant des sites de parapente que je fréquentais il y a déjà 10 ans. Si on m’avait dit que je reviendrai au guidon d’une moto pour participer au Dakar, je ne l’aurai jamais cru ! Seule l’arrivée de nuit, dans le froid, a été très désagréable. J’ai été doublé sur l’autoroute par l’armada KTM. Ils avaient la consigne de ne pas dépasser les 130 Kms/h. Alors ils ne m’ont rattrapé que 50 Kms avant Grenade. Au passage, Cyril Despres a pris le temps de me demander si tout allait bien d’un petit signe de la main. La traversée de Grenade a été laborieuse. Une foule importante est venue assister à notre arrivée. Les Espagnols sont friands de sports. Pour écourter l’attente et en finir au plus vite avec cette journée, j’ai dû emprunter quelques trottoirs. Petit passage par l’assistance pour les vérifications d’usage et vite au parc fermé. J’étais le 4ème à y poser ma moto. Je me suis alors rendu compte que j’avais géré ma journée avec dynamisme. Les autres concurrents ont certainement pris le temps de s’arrêter manger, de se dégourdir. Moi j’ai roulé, roulé et roulé. Maintenant, vite à l’hôtel pour à mon tour manger et me reposer. Sauf qu’il n’y avait pas un seul taxi aux alentours du parc fermé. Je suis donc passé au plan «B» (comme Bouge). J’ai arrêté un motard pour lui demander de me sortir de là. Il n’avait pas le temps de me conduire jusqu’à mon hôtel mais m’a fièrement porté jusqu’à une station de taxi hors des encombrements. Dans la précipitation, j’ai mal refermé la poche de mon sac dans lequel j’avais rangé mon GPS…qui est tombé dans les rues de Grenade. Heureusement, le bruit fracassant de la chute a attiré mon attention et j’ai pu stopper mon chauffeur rapidement. Le GPS était bien cabossé, mais je constaterai dés le lendemain que son fonctionnement n’était en rien altéré. Ouf ! Allez, un taxi, à l’hôtel, vite à table et au lit. Dimanche 2 janvier 2005 : Grenade / Rabat – 523 Kms. Mon heure de gloire a sonné ! Je suis le premier à m’élancer sur une piste totalement propre, large et sans aucun danger. Les sauts sont bien dessinés, pas de trou, un régal. L’espace d’un instant, je suis en possession du meilleur temps de la spéciale (jusqu’à ce que le second arrive certainement). J’ai des petits plaisirs simples ! Ensuite, direction Algéciras pour prendre le bateau qui va nous conduire jusqu’au Maroc. J’adopte la même technique que la veille : je roule et ne me retourne pas ! L’organisation nous avait prévu un contrôle de passage (CP) dans la petite ville d’Antequera en bordure de l’autoroute. J’ai été le premier à monter sur le podium pour saluer la foule et j’ai bien failli terminer à plat ventre car la bâche tendue sur le podium était recouverte de rosée. Je ne suis pas passé loin de la catastrophe et du ridicule ! Ensuite, j’ai longuement attendu le bateau sur le quai du port d’Algéciras. Prévu à 15h00, nous ne sommes partis que vers 17h30. Autant de temps que je ne passerai pas à dormir ! Sur le bateau, je profite du temps libre pour préparer le road-book du lendemain. De cette façon, je pourrai l’installer dés mon arrivée au bivouac de Rabat (notre première nuit sous la tente). A peine entré dans le bivouac, je trouve Jean-Louis, un autre Bunnys venu passer le réveillon au Maroc (étrange non ?). Mon emploi du temps un peu chargé (déposer la moto à l’assistance, manger, noter les corrections du road-book, trouver la malle, monter la tente, préparer la tenue du lendemain) ne m’a pas permis de passer trop de temps avec lui et son amie. Désolé ! Vite au lit, il est déjà minuit. Lundi 3 janvier 2005 : Rabat / Agadir - 666 Kms. C’est là que le rallye commence. Enfin, devait commencer. Pendant presque toute la liaison qui nous amène au départ de la spéciale (120 Kms), je conduis d’une main. L’autre fait l’essuie glace sur mes lunettes. Le brouillard est à couper au couteau. Les hélicoptères de l’organisation ne peuvent pas décoller et la sécurité ne peut pas être assurée. Donc la spéciale est annulée pour les motos. La journée n’est pas terminée pour autant car il nous faut rejoindre Agadir situé encore à 550 kilomètres. Je fais une grande partie de cette liaison avec mon ami John que j’ai rencontré il y un an au Maroc. Xavier et Frédéric complètent le convoi. J’applique encore et toujours la même technique : je roule bon train ! Chaque minute grappillée sur la route représente quelques instants de plus dans mon sac de couchage. La liaison est longue, mais au mauvais temps du matin, succède le soleil. J’égrène les kilomètres avec l’Atlas en paysage de fond. Traversée de Marrakech, puis direction Agadir. A l’arrivée, comme d’habitude, je dépose la moto à l’assistance, je mange, je prépare le road-book avec les corrections des ouvreurs, je trouve ma malle, je monte la tente, je prépare la tenue du lendemain… Ensuite, j’ai voulu aller faire le plein pour gagner du temps. Grand bien m’en a pris ! La station indiquée par l’organisation était située à 5 Km du bivouac. 30 Kms plus tard, je ne l’avais toujours pas trouvée. Tous les Marocains m’indiquaient le chemin, mais elle n’était jamais à l’endroit indiqué. Alors j’ai «embarqué» un Marocain derrière moi sur la moto et je ne l’ai plus lâché jusqu’à la station. Je n’allais pas y passer la nuit. Mardi 4 janvier 2005 : Agadir / Smara - 645 Kms. «Attention, ça va casser !» Voilà l’essentiel des propos de Patrick Zaniroli lors du briefing. Au moins il est clair et l’étape typiquement marocaine (100% cailloux) représente un véritable danger tant pour les motos que pour les compétiteurs. C’est donc avec la ferme intention de ne pas tomber que je me suis élancé dans cette spéciale de 555 kilomètres qui nous fait entrer véritablement dans le rallye. J’ai plus eu l’impression de conduire un marteau-piqueur qu’une moto, mais je crois avoir bien négocié la journée. Mission accomplie, pas de faute de navigation, pas de chute et un temps tout à fait honorable à l’arrivée. J’ai pu aussi éprouver ma résistance physique… impeccable ! J’ai même pris du plaisir pendant cette journée passée presque entièrement avec Frédéric. Ma petite moto, beaucoup plus maniable que les grosses KTM très rapides, a fait merveille dans les pistes caillouteuses. En revanche, la fin de l’étape nous faisait traverser un chott asséché et les KTM m’ont rattrapé facilement. Mais peu importe, le classement n’influence pas mes décisions. C’est donc avec fierté que j’ai ramené la moto à l’assistance sans une égratignure. Et puis c’est reparti pour le rituel : je trouve ma malle, je monte la tente, je prépare le road-book avec les corrections des ouvreurs, je mange, je prépare la tenue du lendemain…et je me couche ! Ouf. Mercredi 5 janvier 2005 : Smara / Zouérat - 622 Kms. Aujourd’hui, nous quittons le Maroc pour entrer en Mauritanie. Souvent les concurrents sont heureux de sortir du Maroc car le terrain y est très cassant. Là, je crois que tout le monde savait que l’organisation avait programmé des séances de torture en Mauritanie. C’est donc avec un plaisir mesuré que j’ai franchi le corridor de 200 mètres (en terrain miné) qui symbolise la frontière. Puis le départ de la spéciale est donné. C’est pour moi un bon moment grâce à Frédéric Collignon, un garçon que je croise occasionnellement lors de courses en région parisienne. Il a été enrôlé dans l’équipe d’organisation et me couve de conseils réconfortants avant de m’élancer. Merci l’ami ! Cette étape est à placer sous le signe du vent de sable. Un parcours au début assez roulant avec un vent de travers extrêmement soutenu. Je devais garder la moto en charge permanente tout en prenant de l’angle pour contrer le vent. Les muscles du cou étaient tétanisés. Les hélicoptères de la télévision nous survolaient à 100 mètres sol pour pouvoir nous apercevoir. Puis les premières dunes se sont profilées à l’horizon… Depuis le matin, mon GPS s’obstinait à m’indiquer le premier point de passage du matin. Je ne sais pour quelle raison il ne l’avait pas validé et du coup, je n’ai pas eu la moindre indication fiable pendant toute l’étape ! Alors une fois entré dans l’erg, j’ai navigué au road-book et à vue en croisant les doigts pour trouver tous les CP (Contrôle de Passage). A chaque CP on nous appose un coup de tampon sur un carton de pointage. L’absence d’un tampon nous pénalise d’au moins trois heures au classement général. Je n’avais pas tellement envie de renouveler ma performance du premier jour ! A la sortie d’un petit champ de dunes je trouve un erg plus important avec une passe matérialisée par deux motos à droite (plantées !) et une voiture à gauche (ensablée !). En prenant le temps d’observer la scène j’ai vu d’autres véhicules éparpillés un peu plus loin dans des situations tout aussi délicates. Voilà un joli passage technique en perspective ! Et je décide de garder le cap et de passer entre les motos et la voiture vues en premier. J’ai soudainement compris pourquoi personne n’était à cet endroit lorsque mon tableau de bord et le guidon de ma moto sont partis entre mes jambes. Une dune cassée… et je me suis fracassé. Rien de grave, tout va bien. En me relevant je constate qu’il y a décidément beaucoup de monde ici. Mon copain John en particulier. Et puis une équipe de France Télévision. Sur le moment, je ne comprenais pas pourquoi John était là ! Lui qui était parti bien devant moi, lui qui connaît les dunes comme sa poche (il vit au Maroc et organise des raids en motos à longueur d’année). John se précipite sur moi pour m’aider à relever ma moto et se propose même de la démarrer. Encore un peu perdu dans mes pensées, j’accepte et regarde le caméraman qui gesticule tout en filmant la scène. Et soudain je comprends, John a le poignet gauche cassé ! Lui qui doit renoncer, est en train de m’aider à repartir. Cette image ne me quittera plus de la journée et j’aurai toutes les peines du monde à me concentrer sur la navigation. Enfin j’arrive au bivouac. Les assistances ne sont pas encore là. Elles aussi ont des journées éprouvantes. Je décide d’avancer leur travail. Je démonte mon levier de frein pour lui redonner forme, je change le filtre à air et donne un coup d’œil général à la moto. Je fais le plein dans un hangar de l’aéroport et je reprends mes petites habitudes : je trouve ma malle, je monte la tente, je prépare le road-book avec les corrections des ouvreurs,… et puis la cuisine du bivouac s’enflamme ! En un instant la rumeur qu’il n’y aura rien à manger ce soir se propage. Là, je vous prie de me croire, le moral en prend un coup sévère. Heureusement, l’organisation rebondit avec une énergie folle et en moins d’une heure une nouvelle cantine de fortune est opérationnelle. Je mange en compagnie de John qui a été rapatrié. Il est effondré. Il m’apprend la raison de son abandon : en aidant une concurrente à relever sa moto, elle lui a brisé le poignet d’un coup de guidon involontaire. John va passer la nuit en observation dans l’hôpital du bivouac. David Castera le rassure en lui garantissant un vol retour dés le lendemain. Je pars me coucher et essayer de me re-concentrer pour le lendemain qui s’annonce comme (encore) un grand moment… Jeudi 6 janvier 2005 : Zouérat / Tichit – 669 Kms. Déjà cette étape porte le nom de « marathon », c'est-à-dire que ce soir nous n’aurons pas d’assistance, ni de male avec nos tentes et petites affaires personnelles. Juste un baluchon dans lequel on doit faire entrer un duvet, quelques lingettes…et c’est tout ! Mais cette perspective ne m’effraie pas trop, tellement je suis horrifié par ce que j’ai lu dans le road-book. En appliquant ma moyenne constatée depuis le début du rallye par rapport au temps estimé des premiers… je n’arriverais pas avant le lendemain ! Et pour couronner le tout, l’étape se termine (donc de nuit pour moi) par le franchissement d’un ergs de 50 Kms… et une passe à trouver dans une falaise pour descendre jusqu’à Tichit. Cool ! Je prends mon petit déjeuner avec Dominique (le quatrième Bunnys). Il n’en est pas à son premier Dakar et il trouve que celui-ci est parti sur de « bonnes » bases ! Allez, on y va. Pas d’état d’âme, on est venu pour ça. Dés le kilomètre 80, je m’écarte à droite de la trace en suivant des traces un peu isolées… et je rattrape un camion balai parti de bonne heure. Je suis effaré de le voir sauter sur l’herbe à chameau et imagine le calvaire des concurrents qui y finiront. A partir du kilomètre 100, les premières voitures commencent à me doubler. D’abord Peter qui va certainement faire un grand coup aujourd’hui. Le second ne me doublera qu’un quart d’heure plus tard alors qu’il s’est élancé seulement 1 minute après Peter ! On a le temps de penser à beaucoup de choses pendant ces longues étapes. C’est d’ailleurs dans un petit moment de déconcentration, alors que Juan Roma me double que l’avant de ma moto choisit de monter brutalement au ciel puis de faire l’inverse vers le bas. Je passe par l’avant de la moto et je m’enroule autour de la roue avant. Le sable mou m’accueille brutalement et puis le silence. Les secondes qui suivent sont inquiétantes… qu’est-ce que j’ai cassé ? Je redresse la moto. Mes instruments de navigation sont très inclinés vers l’avant. L’ensemble revient assez facilement en place. Le répétiteur de cap est débranché. Je le reconnecte simplement. Le support de GPS a triste mine, mais ça ira. Le moteur redémarre, première, et la moto part à droite alors que j’ai le guidon aligné ! Après quelques coups de bottes, je reprends la piste avec un ensemble pas très accordé. Je vous rassure, quelques dizaines de kilomètres plus loin je vais rechuter. Et là, tout est revenu parfaitement dans l’axe ! Il faut bien avoir un peu de chance parfois. Je passe le reste de la journée à « bosser » comme un fou dans le sable mou et profond, à contourner les herbes à chameau. J’arrive au CP 2 vers 17 heures. Il ne reste que quelques minutes de jour (si l’on peut dire, car la luminosité est très relative dans le vent de sable). Je suis vanné et au ravitaillement essence, les «pompistes» de l’organisation refusent de nous remplir les réservoirs. Je dois soulever les jerricans de 20 litres seul et tenir l’entonnoir. De toute évidence si je pouvais abandonner ça les arrangerait ! Je décide de ne pas en rester là et d’avancer autant que le jour le permet. Une fois la nuit tombée, je tente de passer quelques cordons de dunes. Il faut, à mon sens, une certaine dose de chance ou d’inconscience pour se sortir de cet exercice. D’autant plus que lorsque ma moto cale, je n’ai plus de lumière… et plus personne ne peut me voir ! Donc, je décide de ne pas prendre plus de risques. Je trouve un endroit en dehors de la trace pour passer la nuit. Le vent de sable devient vite très intrusif. Je creuse un trou pour m’abriter, je pose ma lampe à éclats sur la moto, sorts ma couverture de survie (moi qui me demandais bien pourquoi je la prenais !) et au dodo. Au milieu de la nuit, le froid me tire de mon sommeil. Je me lève, enfin j’essaye car le vent a rebouché mon trou et je suis recouvert de sable. Après quelques efforts, je me redresse et je découvre un camion et une voiture posés à 50 mètres de moi. Je frappe à la porte du camion pour demander refuge. L’équipage est allemand, je ne sais pas en quelle langue je leur ai parlé, mais ils ont assez vite vu en quoi ils pouvaient m’être utiles ! J’ai passé le reste de la nuit à l’arrière du camion allongé sur une transmission… le grand confort. Vendredi 7 janvier 2005 : Tichit / Tidjikja - 250 Kms. Avant que l’aube ne pointe, tout le monde debout pour reprendre la piste. Un des gars m’annonce que le rallye est neutralisé. J’ai donc toute la journée pour arriver à Tichit, puis rallier Tidjikja par une liaison plus courte que l’étape prévue. Je suis rassuré. J’ai pris la bonne option en me reposant et ça confirme que l’étape était particulièrement difficile…pour tout le monde. Et c’est reparti pour de nouvelles aventures. Le relief se révèle moins hostile avec l’arrivée du jour. La pluie qui accompagnait le vent de sable a formé une couche un peu plus porteuse et la progression est plus simple. Après l’heure légale du levé du jour, les hélicoptères de l’organisation décollent et nous survolent à nouveau. Je remonte sur un groupe de motards qui me confirment l’annulation de l’étape. Les hélicoptères ont déposés de l’eau, mais mes prédécesseurs ne m’ont rien laissé ! Je repends ma progression et je commence à trouver de plus en plus de concurrents en panne d’essence. Tous les concurrents qui ont suivi scrupuleusement les traces des premiers, ont vu leur consommation s‘envoler. Camions, autos et motos sont logés à la même enseigne. Les moins prévoyants sont arrêtés. Je donne par trois fois ½ litre d’essence à d’autres motards. C’est à l’occasion de ce troisième don que je m’aperçois que mon réservoir arrière est percé ! Dans une de mes chutes de la veille, j’ai déplacé le réservoir vers la roue arrière qui frotte à chaque réception de saut. Je n’arrive pas à détordre le support, alors pour ne pas perdre le précieux liquide, je transfère le contenu à l’avant et condamne le réservoir arrière. Le manque d’eau commence à se faire sentir. Mes réserves sont épuisées et le road-book indique encore 50 kilomètres. J’ai vraiment soif. 30 kilomètres plus loin, je croise une caravane de l’armée mauritanienne qui remonte la piste du rallye. Ils m’offrent 3 litres d’essence (je ne crois pas en avoir besoin, mais j’adopte le principe de précaution) et je leur demande à boire. Je sais pertinemment le risque intestinal que je prends, mais ma soif est trop importante. Plus tard, je m’arrêterai même ramasser une bouteille d’eau certainement tombée d’un sac. Je finis cette étape avec joie. La passe vers Tichit s’avère technique en plein jour alors de nuit, je n’ose pas imaginer ! Il est 14 heures et l’accueil à l’arrivée est chaleureux. Il semblerait qu’un tiers des motards soit encore dans l’étape. Je file me restaurer, installer le nouveau road-book et je pars pour Tidjikja vers 14h30. Sur le papier, tout va bien : 250 kilomètres à faire dans l’après-midi. En réalité, il faudra se battre à chaque kilomètre ! La liaison s’avère extrêmement pénible. Du sable mou et profond pendant presque tout le trajet. Et lorsque le sol est dur, c’est du caillou et du franchissement trialisant. Je n’arriverai à Tidjikja qu’à 20H00 épuisé. Avant de trouver mon assistance, j’aperçois Dominique s’occuper de sa moto. Au moins un des Bunnys est là. Je n’aurai pas le temps de le croiser pour parler. Mon emploi du temps est chargé (comme à chaque arrivée d’étape) et là, mon assistance à du travail pour redresser la moto. Lorsqu’ils me voient arriver, ils sautent sur un appareil photo. Je dois avoir une drôle de tête, mais ça ne préoccupe pas trop, je suis là et je dois préparer l’étape de demain. En fait, le bilan mécanique n’est pas si catastrophique. Patrick me replace chaque élément au fur et à mesure que je lui indique mes problèmes. Le réservoir arrière est redressé et ressoudé rapidement, bref je peux m’occuper un peu de moi. Vite ma male (mon duvet est revenu de l’étape marathon), ma tente, je me change et je vais manger. Je n’arrive pas à temps pour entendre les conseils de Patrick Zaniroli, mais une personne de l’organisation me donne les infos essentielles pendant que je mange. Demain, il faut impérativement partir avec les pleins d’essence à raz bord. Au-delà de cette consigne, il faut comprendre que les consommations seront importantes, ce qui signifie que le sol ne sera pas du tout porteur. Autrement dit, sable mou ! Encore. Samedi 8 janvier 2005 : Tidjikja / Atar – 399 Kms. La nuit a été parfaite. Six heures de sommeil et je me lève avec un moral en inox. La journée ne sera pas simple, mais elle nous mène vers Atar synonyme de journée de repos. Un dernier coup de collier et le bonhomme et la machine seront reconditionnés. En allant prendre mon petit déjeuner, je vois Dominique qui part prendre le départ de l’étape. Pendant que je gare ma moto à proximité de la cantine, un Espagnol arrive les larmes aux yeux. Il me demande si je suis conscient de ce que je viens de faire ? Je ne comprends pas bien le sens de sa question. Puis il m’explique qu’il s’occupe de 6 pilotes équipés de motos bien plus performantes que la mienne et qu’aucun d’eux n’est encore là. Il me félicite et me dit que je dois être très fier de moi. C’est incroyable ! Etienne Lavigne le directeur du Dakar dit que c’est l’épreuve où les hommes pleurent. Cet instant reste gravé dans ma mémoire car je crois que je me suis tellement conditionné pour « Arriver » que je n’ai jamais laissé place à mes sentiments. Et là, je prends la détresse de cet homme de plein fouet. Je le remercie sincèrement et pars dévorer tout ce qui me sera donné pour le petit déjeuner. Comme chaque matin, je me présente au départ 10 minutes avant mon heure de départ. Guillaume, un autre motard qui roulait jusque là avec son frère, me propose de rouler avec lui (son frère ayant jeté l’éponge la veille). Avec plaisir ! Un peu d’entraide dans cette étape n’est pas pour me déplaire. En attendant le signal du starter, je me rends compte que personne ne pointe à l’heure. Tous les motards sont en retard. Je crois que la plupart d’entre eux sont arrivés pendant la nuit. Je suis donc bienheureux avec ma nuit de sommeil. Et c’est parti. Comme prévu la moyenne horaire est catastrophique. En plus du terrain très mou, la navigation est difficile sur les premiers kilomètres. Le nez dans mes notes (Guillaume me laisse ouvrir la piste), je passe par-dessus la moto. Je suis un peu sonné et la fatigue est bien là. Je propose à mon acolyte d’inverser les rôles pour pouvoir me reposer un peu. Et nous arrivons dans les premiers cordons de dunes. Compte tenu de mon état, je suis bien décidé à ne pas faire n’importe quoi. Je m’applique sur les trajectoires. Je fixe longtemps à l’avance le relief pour anticiper au maximum. Je ne veux pas tomber. Je ne veux pas caler car à chaque fois j’y laisse un peu plus de mon capital santé. Le sol est vraiment meuble et j’ai l’impression de manquer complètement de puissance. Malgré mes prises d’élan élargies, toute la vitesse est anéantie par la môlesse du sable. A la descente d’une petite dune, je tombe. Ma jambe gauche est bloquée sous la moto et j’entends les premières voitures arriver au loin. Heureusement Guillaume me suit et arrête sa moto en haut de la dune pour signaler notre présence et pour me venir en aide. A peine ma moto relevée, Luc Alphand nous contourne et nous frôle. Ces images ont été filmées, plusieurs personnes m’en parleront sans savoir que j’étais un des acteurs de la scène. Le coup n’est quand même pas passé très loin ! Je décide de sortir complètement des traces pour retrouver un peu de portance. Un groupe de photographes m’annonce une difficulté que je m’applique à contourner. Pourtant la moto n’avance pas et à la hauteur d’un des photographes, ma roue avant se plante. En voulant sortir de ce piège, ma roue arrière s’enfonce. Je demande de l’aide au photographe. Il accepte. Merci ! Avant de venir, il me mitraille. Je lui dois bien ça ! Je repars vers la prochaine dune sur laquelle l’hélicoptère des reporters est posé. En arrivant à sa hauteur, je sens le moteur monter dans les tours. Je comprends instantanément. Je tente de changer de vitesse, mais le résultat est le même, la moto s’arrête alors que le moteur tourne : embrayage cassé. Je comprends aussi que le rallye s’arrête là pour moi. Je n’ai pas la pièce pour réparer et je n’ai pas une moto très courante. Les chances de trouver un concurrent qui puise me dépanner sont quasi nulles. J’enrage car à Barcelone j’ai demandé des disques de secours à mon assistance. « Plus tard, en Afrique ». En une demi heure de travail j’aurai réparé l’embrayage et j’aurai certainement pu rejoindre Atar ! Je profite de la présence de l’hélicoptère pour signaler mon abandon. Et commence la pénible attente du camion balai. Il est 11h00, je suis au kilomètre 100, la journée risque d’être longue. Je m’installe en haut d’une dune pour regarder le rallye passer. Après tout, autant en profiter. Le passage des camions est spectaculaire. J’ai vu Gérard De Roy doubler trois autres de ses adversaires, puis décoller de 2 mètres avant de se planter jusqu’au moyeux, sous mes yeux, immobilisé en une fraction de seconde. Ahurissant. L’autre constatation, c’est que les concurrents autos sont eux aussi à la peine dans le sable mou. Combien d’entre eux m’ont fait une démonstration de désensablage ? Certains se sont même replantés 25 mètres plus loin ! Et puis le jour a commencé à décliner. Le doute que le camion balai ne me trouve pas commence à prendre place dans mon esprit. J’imagine un montage de ma lampe à éclat sur mon casque que je poserai sur le haut de la dune pendant que je pourrai dormir à coté de la moto à l’abri du vent. Je révise le mode d’emploi de mes fusées de détresse. Si par hasard, j’aperçois des phares qui passent au loin, je vendrai chèrement ma peau. Enfin il arrive, j’agite ma lampe à éclat et le camion oblique vers moi. Je ne sais pas si j’ai envie de rire parce qu’ils m’ont trouvé ou si je vais m’effondrer car ce camion est le symbole de mon échec. Je n’ai pas trop le temps de me poser la question. Le médecin du camion m’insulte car il estime que mon attitude n’est pas assez dynamique. Désolé ! Un concurrent est déjà présent dans le camion. Il connaît bien Dominique avec qui il a roulé lors d’un précédent Dakar ! L’expérience du camion balai est très inconfortable. Imaginez vous enfermés dans une caisse sans fenêtre (du moins, toutes petites) mal sanglés dans des sièges de rallye. Mettez le programme sur essorage et vous avez une idée de l’ambiance. Pied marin obligatoire… ce qui n’est pas mon cas. Alors le supplice est long, très long. Nous ramassons quelques camarades d’infortune ce qui me donne l’occasion de reprendre mes esprits. Et puis, au milieu de la nuit, le camion s’arrête. La porte s’ouvre et le médecin nous explique qu’il y a là 6 motards en train de dormir sur le bord de la piste. Soit on les « ramasse » et ils sont hors course, soit on dort avec eux et on attend qu’ils repartent le lendemain. Aucun d’entre nous ne veut les contraindre à l’abandon, alors on se recroqueville dans nos sièges et on tente de fermer l’œil. Dimanche 9 janvier 2005 : Journée de repos ! Au petit matin, les mécaniques s’ébrouent mais les organismes des 6 « campeurs » sont de toute évidence, bien éprouvés. Parmi eux, une Espagnole exténuée. Son démarreur ne fonctionne plus et elle n’arrive pas à lancer le moteur avec le kick. Nous descendons l’aider. Elle finit par partir mais ne tarde pas à chuter. Nous l’aidons à nouveau et tombe encore après quelques kilomètres. Elle a largement dépassé ses limites et fait preuve d’un manque de lucidité évident. Le risque de la laisser continuer est grand. L’abandon est certain. Alors, l’un de nous s’équipe et nous faisons monter la jeune Espagnole dans le camion. Elle peut ainsi se restaurer et se reposer pendant que les kilomètres défilent. Nous parlons un peu pour tromper ses craintes d’abandon. Je découvre qu’elle habite Alicante et qu’elle fait aussi du parapente. Des sites que j’ai fréquentés il y a quelques années. A quelques encablures d’Atar, le camion s’arrête et elle a terminé cette étape en héroïne. En lisant la presse spécialisée, j’ai la satisfaction de constater qu’elle est arrivée jusqu’à Dakar. Pour les autres occupants du camion balai l’arrivée au bivouac est plus triste. Je vais directement à la tente « relation concurrents ». Un avion repart pour Paris le soir même à 22H30. Il est 16H00, j’ai juste le temps de trier quelques affaires, rendre GPS, balise, téléphone satellite et le système Sentinel qui me prévenait de l’arrivée imminente d’un prédateur à quatre roues. Ensuite je pourrai quitter définitivement la course. En chemin, je trouve Dominique et Frédéric. J’apprends que Xavier s’est cassé le pied mais les détails manquent. Frédéric rentre par le même avion que moi. Il a abandonné dans la liaison qui nous menait vers Tidjikja. Il ne s’est pas sentit bien pendant près de trois heures, impossible d’aller plus loin. Seul Dominique portera les couleurs des Bunnys Up. Tâche dont il s’acquittera parfaitement en rejoignant les bords du lac rose. Je termine ce long récit par quelques remerciements (déjà à ceux qui ont eu le courage de lire jusqu’ici). Merci à tous ceux qui ont suivi mon aventure en direct (la fréquentation de ce site a été stupéfiante). Merci à mes partenaires qui m’ont aidé à fiancer cette course si particulière. Merci à Cyril et Miguel Angel de m’avoir donné les clés de la compréhension de ce rallye. Merci à Yannick mon Frère de m’avoir accompagné autant que possible pendant ma préparation physique. Et enfin, merci à Sylvie mon épouse, pour m’avoir aidé et « supporté » des mois durant en assumant le quotidien de notre famille.
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